Gemma Morató i Sendra, dominicaine, théologienne et journaliste
JOAN ANDREU PARRA, Barcelone
Le 3 avril dernier, la retraite de vie consacrée « Guérir les blessures pour retrouver la joie de la vocation » a été organisée avec toutes les places occupées. Le but était d’accompagner spirituellement, sans entrer dans les domaines juridiques ou médicaux, les 35 participants présents qui ont pu disposer d’espaces de silence, de prière, de réflexion et aussi être entendus. « Même si tout est très dur, la joie de la vocation doit pouvoir renaître avec force car c’est ce qui nous unit au Seigneur », dit Gemma Morató, dominicaine de la Présentation, l’une des cinq animatrices religieuses de la retraite.
« Tout le monde, souvent à notre petit niveau insignifiant, peut être unagresseur »
« Les abus spirituels sont très difficiles à prouver et s’accompagnent souvent d’un mépris systématique »
« Nous devons d’abord voir comment rendre justice à la victime et ensuite la miséricorde viendra pour l’agresseur »
« La dignité de toute personne humaine passe avant le nom, l’institution, la façade… »
Où est la racine de l’abus de pouvoir et de conscience dans l’Église ?
La racine de tout abus est la faiblesse humaine elle-même. Bien souvent, il y a aussi ceux qui sont le résultat de personnalités malsaines, narcissiques… de pathologies psychiatriques. Est-ce ponctuel ou est-ce structurel ? L’abus de pouvoir est un danger ou une situation qui peut être vécue dans n’importe quel état de vie, institution, entreprise et, par conséquent, malheureusement, l’Église n’en est pas exemptée. Il y a des gens qui sont très blessés parce que tous ces abus ne se voient que dans l’Église, alors que les abus, notamment sexuels, ont lieu dans d’autres domaines comme la famille. Cependant, les croyants ont une responsabilité et il me semble qu’il y a encore des agresseurs aujourd’hui. Comment est-ce possible ? La seule explication que je puisse trouver, c’est si cela vient d’une personnalité malsaine non traitée…
Serait-ce lié à une crise de spiritualité ?
J’ai parfois entendu un prieur général dire que celui qui abuse, surtout du pouvoir, ne s’en rend même pas compte. C’est possible, mais il doit y avoir des mécanismes pour lui en faire prendre conscience ou pour l’arrêter. Nous nous tenons tous devant le miroir et savons quelles faiblesses, défauts, péchés nous pouvons avoir. Nous devons tous partir du fait que, bien souvent, à notre niveau modeste et insignifiant, nous pouvons être des agresseurs. Que se passe-t-il lorsque les choses se compliquent, lorsque quelqu’un s’enivre de pouvoir ou souffre d’une pathologie qui n’a pas été détectée à ce moment-là ? Eh bien, c’est maintenant que nous commençons à voir des moyens d’arrêter cela, mais il nous reste encore un long chemin à parcourir. Ce n’est pas si simple. C’est peut-être plus facile lorsqu’il s’agit de quelque chose de beaucoup plus démontrable (un abus de pouvoir ou un abus sexuel). L’abus de conscience, l’abus spirituel, est très difficile à prouver et s’accompagne souvent d’un mépris systématique.
Quelles conséquences cela a-t-il sur la personne concernée ?
Surtout, nous trouvons des personnes qui, malgré le fait qu’elles portent cette blessure causée ou en train de se causer, restent fidèles à l’appel du Seigneur. Il est vrai aussi qu’il y a eu des gens qui ont finalement dû le quitter parce que c’était insupportable. Il y avait à Rome une maison que le Saint-Père avait construite pour accueillir des religieuses qui avaient quitté d’autres congrégations à cause d’abus. Ce n’est plus l’époque des démissions, car ce n’étaient pas de vraies démissions, c’étaient des abus. Car le problème n’est pas qu’ils aient détecté que leur vocation n’était pas vraie ou qu’ils n’étaient pas à leur place, mais qu’il y avait une pierre d’achoppement humaine qui a stoppé cette vocation. Ce que nous devrions pouvoir faire le plus quand quelqu’un a subi des abus, c’est guérir les blessures, afin que personne n’arrive à la fin de la vie sans avoir guéri cette blessure, même si, sûrement, la cicatrice restera toujours.
La retraite que vous avez faite est-elle un moyen de guérir ?
Nous avons rencontré des religieux et des religieuses ayant de nombreuses années de vie religieuse qui, pour la première fois, l’ont expliqué ou qui ont pu pleurer paisiblement, parce qu’ils avaient compris que nous étions face à une réalité de vie qu’il fallait tuer dans l’œuf. Nous avons déjà entendu des voix nous demander si nous continuerons et notre idée est de le faire : nous croyons au projet, je suis convaincue que les choses commencent par les petits détails et que ce qui est petit, le Seigneur le prend pour le bien du monde.
Les abus sont-ils plus graves dans la sphère féminine ?
Ici, les statistiques ne nous sont pas très utiles, car quand on va à n’importe quel événement de l’Église, il y a beaucoup plus de femmes et c’est ce qui s’est passé lors de la retraite, mais il y avait aussi des hommes d’un certain âge. Je fais toujours la distinction parce que la psychologie féminine et masculine n’est pas la même, le fonctionnement parfois des congrégations religieuses n’est pas exactement le même, surtout s’il s’agit de congrégations masculines dans lesquelles le religieux est prêtre, contrairement aux congrégations dans lesquelles tout le monde est frère ou sœurs. Bref, il y a des dérives au sein de la sphère masculine et peut-être plus qu’on ne le croit car c’est plus difficile à dire.
Comment s’adresser aux agresseurs ?
Tout d’abord, ils sont là et il faut les détecter, il faut pouvoir accompagner et, s’ils ne sont pas autorisés, appliquer le droit canonique, qui est très clair. La première chose que celui qui a le pouvoir à ce moment-là doit faire est d’éloigner cette personne de cette communauté, qu’elle soit religieuse, paroissiale… Ensuite, nous devons voir si cette personne veut suivre un chemin de guérison, de reconnaissance de ce qu’elle l’a fait, ou pas. Toutes les voies doivent être épuisées. Dans tous les cas, cette personne doit être surveillée, car l’un des drames de nombreuses années est qu’après une plainte, cette personne est retirée de la communauté, placée dans une autre ou changé de pays. Le problème est le même ailleurs. Mais dans ces moments-là, nous devons d’abord voir comment rendre justice à la victime et ensuite la miséricorde viendra pour l’agresseur. Il doit y avoir des personnes dévouées et dévouées aux victimes et d’autres doivent avoir une disposition particulière pour accompagner les agresseurs.
Comment les victimes ont-elles été prises en charge jusqu’à présent ? il
Nous l’avons très mal fait pendant de nombreuses années. Dans l’intérêt de la défense de l’institution, nous avons porté préjudice à la personne. Et une chose est
très claire, la dignité de chaque personne humaine passe avant le nom, l’institution, la façade… Nous avons été créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, maltraités et maltraités, mais la dignité passe avant tout. Il y a des congrégations qui sont très claires sur les protocoles, elles savent quel sang-froid et quel cœur chaleureux elles doivent avoir pour réagir, accompagner, ne pas mettre de l’huile sur le feu, ne pas se couvrir, pour que la victime n’ait pas envie plus d’être une victime. L’un des problèmes les plus graves aujourd’hui est la revictimisation.
Pourquoi ?
Quand tu es capable de le dire, de le signaler, de demander de l’aide et qu’on te regardent mal, qu’on te dit que tu as compliqué la vie de l’institution, à l’école, à
la paroisse… c’est ça la re-victimisation . Un autre problème est que si l’on prolonge longtemps le temps de recherche de solutions, la personne s’enfonce encore
plus. Par conséquent, l’une des questions sur lesquelles nous devons être très clairs est que, évidemment, tout prend du temps (discernement, écoute des parties,intervention des experts), mais il ne faut pas que cela se prolonge de manière exagérée.
Quelle opportunité cela représente-t-il pour l’Église que tout cela soit mis en lumière ?
L’occasion d’être témoins. Nous devons être témoins de la Bonne Nouvelle, de la vocation que chacun de nous a suivie avec le Seigneur, mais nous devons aussi être témoins que, dans un monde où le mal existe, nous sommes capables de reconnaître ce mal, de le reconnaître. le présenter, demander pardon, l’assumer et
l’accompagner. Et, en même temps, ouvrir des chemins pour que cela ne se reproduise plus, même si nous n’atteindrons pas la perfection, mais peut-être pouvons-nous l’apaiser. Il est vrai que nous avons déjà parcouru un long chemin, de manière positive : il y a des diocèses, des congrégations, le Saint-Père qui ont fait un grand chemin d’ouverture, de transparence, de condamnation, mais il y en a encore qui continuent. Nous continuerons à demander pardon, nous continuerons à cheminer et que Dieu nous donne des personnes vraiment capables d’aider, de ne pas avoir peur, de ne pas mâcher leurs mots, comme ce Saint-Père. dans