Job, mon cher ami depuis si longtemps. Il est rare de te retrouver dans la liturgie du dimanche. Je pense que cela n’arrive que 2 fois dans l’année, malheureusement.
Alors il est d’autant plus important de parler de toi aujourd’hui. Te retrouver, comme avec nos amis lointains et que nous n’avons pu rencontrer en ces temps chamboulés.
Les versets de ce texte arrivent tout à la fin de ton livre. Après bien des tempêtes. Ta vie, ton œuvre, les tiens, tout fut décimé en un instant. Le ciel s’est effondré sur toi te laissant avec ton ulcère sur un tas de cendres. Mais voilà que tu refuses de te laisser mourir sans rien dire, comme si tout cela était normal. Alors tu lances ta plainte vers le ciel « périssent le jour qui m’a vu naître et la nuit qui a déclaré : ‘un homme vient d’être conçu !’ » (3, 3) Durant alors 35 chapitres au ton bouleversant, à la poésie charnelle, tu vas ferrailler avec tes visiteurs qui veulent te faire rendre raison de ton mal. Il serait dû à ton péché. Tu refuses cette théologie inhumaine qui voudrait expliquer le malheur et spécialement l’enclore dans le péché du malheureux. Ces amis – qui sont pourtant venus de loin – ne peuvent supporter la béance. Celle de ta douleur, de la peau meurtrie. Celle d’abord de cette question toujours juste aux réponses toujours fausses quand elles se veulent totalisantes : pourquoi le mal et surtout pourquoi mon mal ?
Devant ces discours circulaires, tu n’as d’autres recours que d’en appeler à ton Dieu. De le convoquer à entendre ta détresse, à s’expliquer lui-même, « comme un homme ». Tu es dans cette tempête de combattre Dieu et qu’il soit ton seul avocat. Dieu comme seul défenseur contre ce dieu qui s’en est pris sans raison à tout de ta vie, ne te laissant plus que le souffle pour formuler ta révolte et demander des comptes. Tu es encore dans la tempête quand tu dois aussi résister à ce jeune et nouveau théologien, Elihou ( ch 32), arrivé sur le tard et qui vient réciter sa leçon. Il semble d’accord avec toi : ton mal ne vient pas de ton péché, mais – pire sans doute – ton mal est la signature d’un dieu qui t’aime tout spécialement. En quelque sorte, qui aime profondément châtie profondément ! Cet homme-là aime la souffrance. Pas la sienne, mais celle des autres.
Oui, avec ton ulcère et sur ton tas de cendres tu te tiens dans la tempête. Et voici que Dieu entre en scène, avec les versets de ce dimanche. Poème magnifique. Dieu ne refuse pas la tempête car c’est là qu’il vient. Comme pour toi, dans la tempête de nos existences et de ce monde bouleversé. De ce lieu de la peur de mourir, de sombrer dans l’abîme des mers, il vient. Il vient là, comme dans l’Évangile de ce dimanche, pour apaiser les flots et vaincre l’abîme de nos peurs et de nos angoisses. Un Dieu qui ne t’abandonne pas Job ; alors il parle. Et quand quelqu’un parle dans la tempête comme dans la nuit noire – s’il parle vrai – il faut plus clair. Il te parle Job comme un ami parle à son ami, un Dieu s’adressant à un homme libre. C’est même à toi seul qu’il parle, toi qui l’as convoqué, supplié, toi qui a osé dire toute la colère devant ton malheur et le celui des autres. Le nôtre, celui de chacun, aujourd’hui toujours.
Dieu raconte une histoire. « Qui donc a retenu la mer et lui a imposé une limite ? » Ton Dieu raconte qu’il a fait le monde à profusion et posé des limites afin que le mal ne puisse tout emporter. Il ne dit rien d’une explication du mal. Il fait mieux : il prend Job pour témoin et partenaire.
Bienheureux es-tu Job, mon ami.
Ce Dieu-là le Dieu de Job est le mien.
Sr Véronique Margron
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