Vertigineux !
Et si la foi, notre foi, reposait sur un rêve, sur l’interprétation d’un rêve… voilà qui réjouirait sans doute bien des détracteurs rationalistes. Les disciples du vieux Freud aussi sans doute. La foi un truc de fous ? Non mais de rêveurs oui.
Car c’est bien ce que raconte notre évangile. Dans ce récit de l’annonciation faite à Joseph, tout tient parce qu’il écoute son songe.
Voyons cela de plus près.
Un homme découvre que sa fiancée est enceinte d’un autre que lui. Histoire bien réelle – et non idéale – qui dit déjà que notre Dieu ne s’extrait pas du monde, tout au contraire. Il fait son récit, celui du Salut, de l’existence concrète, avec son poids de contraintes. La loi est sans pitié et ordonne que la jeune fiancée et l’homme soient lapidés à la porte de la ville (Dt 22, 23-24). Marie devrait donc être exécutée et son enfant avec elle, ou devenir un bâtard. Sans parler du déshonneur de sa famille. Notre Dieu a pris un gros risque : que l’histoire s’interrompe avant de commencer, si la loi avait été exécutée. Risque magnifique d’espérer – de la part de Dieu – que l’humain puisse être autre que la cruauté de la loi : juste. Comme dans la supplication d’Abraham pour Sodome (Gn 18, 16-33) « Que mon Seigneur ne se mette pas en colère : je ne parlerai plus qu’une fois. Peut-être s’en trouvera-t-il seulement dix (justes) ? » Et le Seigneur déclara : « Pour dix, je ne détruirai pas. »
Les justes sauvent et tiennent le monde. Telle le peuple immense et anonyme des « Juste parmi les nations », des « généreux des nations » qui ont risqué leur vie pour sauver des juifs, pour refuser la barbarie, y compris légale. Ils sont les témoins que la vie vient de loin. Qu’on peut porter la main dessus. Le juste n’est ni parfait ni sachant, il a seulement décidé de n’asservir quiconque. « Il n’utilise pas sa langue pour calomnier, il ne fait pas de mal à son prochain », clame le psaume 15. Voilà bien Joseph qui ne veut pas faire de mal à Marie. Notre Dieu s’est confié, dès cette heure, à la destinée des hommes qui le recevraient, ou pas. Hier comme aujourd’hui. Des justes d’avant et de maintenant.
Mais ce n’est pas tout. Avant de la renvoyer en secret, voilà qu’il fait un rêve en son sommeil. Le destin de Marie, celui de Jésus, repose sur le rêve de Joseph. Bouleversant.
« N’aie pas peur de prendre chez toi Marie ». Aller au bout de sa justesse, au nom de l’Esprit. Cet Esprit qui a enveloppé Marie. Rompre avec la loi inique, mortelle, pour la vie, pour l’avenir. Rompre avec les peurs, légitimes, d’être père sans être géniteur, d’être déjà en dehors des règles de loi… juste pour aimer, c’est-à-dire avant tout et pardessus tout ne pas nuire et rendre possible la promesse de vivre. C’est ce que dit le messager de Dieu, l’ange, son intime. Jésus est engendré de Marie et devient en même temps par Joseph fils de David, accomplissant la promesse faite par le prophète Natan à David (2 Sa 7, 12). Effraction de l’Esprit grâce à l’écoute d’un rêve et il l’appellera Jésus. Dans l’Évangile de Luc (1,31) c’est Marie qui reçoit cette parole : Dieu sauve ; rien de moins. Ici c’est Joseph. Cet enfant-Dieu-avec-nous sera accueilli par ces deux humanités embarquées dans le Salut, Marie et Joseph.
Joseph a écouté, interprété son rêve. « Le Dieu trois saint se dit dans trois fois rien », écrit joliment le frère Philippe Lefebvre. Trois fois riens du réel : une toute jeune femme enceinte, un homme juste, un rêve. Trois fois rien qui changent le monde. Joseph fait acte de signification, de profondeur du sens, jusqu’à la fin des temps ; pour toutes générations. Nous ce matin.
Joseph accueille son épouse et adoptera cet enfant pour devenir son père et lui transmettre le meilleur de lui-même : devenir juste, venir de loin.
Heureux l’homme qui fit entrer le salut en ce monde par un songe.
Sr Véronique Margron
Cette méditation a été publiée le 16/12/22 sur le site de La Vie >> retrouvez la ici