Servir la liberté et la vie de tout autre

Marc 10, 35-45

En voilà deux qui ont bien du culot. Jésus vient une nouvelle fois d’annoncer sa passion, et comme toujours, les proches sont tout à fait à côté du sujet. La première fois, Pierre lui reproche ses paroles sur la croix (8, 32). La seconde, une dispute s’engage entre les disciples sur qui « est le plus grand » (9, 34). Et voici que maintenant les fils de Zébédée demandent une faveur : être placés à la droite et la gauche de Jésus quand il sera politiquement victorieux des occupants.

Ils nous ressemblent, ces hommes. Qui ne voudrait pas une place privilégiée auprès de qui nous aimons et recevoir sa protection ? Qui, en de nombreuses circonstances, ne désire pas avoir la meilleure place ? Et qui n’a pas mille demandes à adresser à notre Dieu ? Alors gardons-nous de fanfaronner à propos de ces hommes qui semblent inconsistants, tout occupés d’eux-mêmes, alors que le maître raconte qu’il va mourir. Leur âme n’a pas entendu que la seule gloire du Christ est celle de la Croix du Golgotha, instrument de torture, ni que près de lui se tiendront deux brigands de grand chemin, crucifiés comme lui.

Notre évangile insiste sur la solitude de Jésus. Celle où il va d’un pas déterminé au bout du don de sa vie, de sa parole, en notre faveur à tous et chacun. Et pourtant. Les disciples partageront bien la gloire de Jésus. Non pas celle qu’ils semblent imaginer en cette heure. Mais celle du don justement, du témoignage jusqu’au sang versé, qu’un des fils de Zébédée, Jacques, inaugurera (Actes 12, 2).

Pour le moment, le Nazaréen ne manifeste aucun mépris envers ses amis égocentrés. Il explique, raconte : une coupe, un baptême. Puis l’esclave qui est le premier, le plus grand : je ne sais ce que les disciples pouvaient comprendre, ni nous d’ailleurs vraiment aujourd’hui… Le Fils de l’homme ne précise pas comment sera le Royaume dont il parle. C’est son témoignage qui se tient là ; lui, le témoin par excellence, l’envers de « ceux que l’on regarde comme chefs… » Hier et aujourd’hui. Gouvernants en tous genres, ‘gouvernants’ éphémères de nos sentiments, de nos opinions, parfois de nos actes et décisions que sont influenceurs et autres gourous des réseaux sociaux ou d’ailleurs. Entraîneurs de pacotille, certes, mais souvent dangereux, bien réellement.

Rappelons-nous Jésus tenté par le diable, le diviseur, lui promettant « l’autorité et la gloire des royaumes » (Mt 4, 8) s’il se prosterne devant lui. Les vrais justes, les authentiques serviteurs, rendent libres, dignes. Ils aiment les femmes et les hommes debout. Ils ne demandent à personne de se mettre à genoux devant eux, de les adorer, aduler, admirer. Tout au contraire, avec eux il n’y a plus de prisonnier de corps, d’âme, d’esprit. Ils les envoient vers leur vie, confiants.

Être grand est donc bien à la portée de chacune et chacun et non de quelques puissants à un titre ou à un autre : « un cœur touché par la grâce, une âme engendrée par l’amour » écrivait Martin Luther King. « Vous pouvez être ce serviteur. » L’antithèse des possesseurs ou des manipulateurs. Y compris et surtout si nos responsabilités familiales, sociales, ecclésiales nous amènent à gouverner, juger, enseigner. Être serviteur n’est nullement s’écraser, n’affirmer aucune conviction, refuser toute responsabilité.

C’est peut-être se mettre dans le sillage de Jésus, qui se ceint les reins lors du lavement des pieds (Jean 13, 4). Se ceindre les reins, c’est être là, véritablement là, répondre à l’autre et de l’autre. Et suivre.

L’ange dit à Pierre : « Mets ta ceinture et chausse tes sandales », ce qu’il fit. « Jette ton manteau sur tes épaules puis viens et suis-moi ». (Actes 12, 8)

Véronique Margron